Doctolib : « Notre modèle économique n’est pas basé sur la donnée »5 min read
C’est la nouvelle licorne française. Après avoir levé 150 millions d’euros, la petite start-up de Stanislas Niox-Château, HEC de 32 ans, a bien grandi. En 5 ans, elle est devenue leader européen de la prise de rendez-vous en ligne. Doctolib vaut désormais un milliard d’euros et va doubler ses effectifs.
Vous venez de lever 150 M€ auprès de vos investisseurs historiques comme Bpifrance et Eurazeo, et de l’américain General Atlantic. À quoi va servir cet argent ?
Stanislas Niox-Château : Nous souhaitons doubler la taille des équipes françaises et allemandes sous 3 ans, ce qui représente 750 emplois en France et en Allemagne, sans compter les recrutements dans d’autres pays. Ce doublement concernera également les équipes techniques. On va créer de nouvelles fonctionnalités en collaboration avec les syndicats, les autorités sanitaires et les praticiens pour inventer le cabinet et l’hôpital de demain.
En France et en Allemagne, nos collaborateurs travaillent principalement dans l’accompagnement et la transformation des cabinets et des hôpitaux. Avec 500 médecins, nous avons lancé notre solution de télé-consultation que l’on va déployer en France et en Allemagne auprès des 75 000 professionnels de santé inscrits sur notre plateforme. Enfin, nous allons essayer de répliquer ailleurs les succès français et allemand.
Dans quels pays ?
Le choix n’est pas encore arrêté. Mais pour une fois qu’on a une technologie française, On il faut désormais la répandre au-delà de nos frontières. Nous sommes la première plateforme de e-santé d’Europe – voire même du monde – avec 30 millions de Français et d’Allemands.
Doctolib est-il vraiment la première plateforme mondiale ?
En Europe, c’est certain. Dans le monde, il y a peut-être des acteurs chinois plus grands que nous. Mis à part la Chine, je ne pense qu’il existe une plateforme plus grande. Même l’acteur américain (ZocDoc — ndlr) est plus petit que nous.
La valorisation actuelle de Doctolib et l’accroissement des effectifs vous obligent-ils à modifier votre gouvernance ?
On évolue tous les jours. Quelque soit la taille de l’entreprise, la priorité est de se remettre en cause tous les jours. Il faut être humble sur les progrès et l’avenir de l’entreprise. Ensuite, et c’est peut-être le plus important, il faut avoir une équipe d’entrepreneurs. C’est notre concept clé chez Doctolib, où tous les collaborateurs sont des entrepreneurs. Un entrepreneur n’ est pas quelqu’ un qui crée sa boîte, c’est un marathonien obstiné dans le fait d’obtenir des résultats à partir d’une vision. Quelque soit l’équipe ou le poste, c’est vers cet objectif que l’on tend. On vise l’excellence.
Uber est-il un modèle ?
Absolument pas. C’est l’inverse : on est l’anti Uber. Sur les méthodes, je préfère ne pas me prononcer, car ça ne n’engage que moi. En revanche, concernant la stratégie, c’est l’inverse : Uber remplace des acteurs existants et met des milliards sur la table pour le faire. Au contraire, Doctolib fournit une technologie et un service à des acteurs existants — les médecins et les établissements de santé — pour décupler leurs potentialités.
L’augmentation du nombre de médecins sur votre plateforme est-il le nerf de la guerre ?
Tout à fait. Aujourd’hui, 75 000 praticiens et 1 400 établissements paient un abonnement mensuel. On fonctionne majoritairement par le bouche-à-oreille au sein de la communauté des professionnels de santé.
Vous possédez des données sur près de 30 millions d’utilisateurs français. Pouvez-vous garantir que vous n’exploiterez jamais ces données ?
Nous n’avons pas de modèle économique basé sur la donnée. C’est un point philosophique chez nous. Nos données sont encryptées, nous n’ y avons pas accès, et nous n’en sommes pas propriétaires. De plus, nous ne faisons jamais de pub. Les données sont la propriété des patients ou des professionnels de santé. Personne n’y a accès.
Je ne peux pas savoir quel rendez-vous vous avez pris, quel praticien vous allez voir régulièrement, etc. Si quelqu’un les vole, il ne pourra pas non plus y avoir accès car il y a des clés d’encryption (clé de chiffrement permettant de protéger des données — ndlr). Seul le patient peut accéder à ses données avec ses codes d’accès.
Où sont-elles stockées ?
Chez des hébergeurs agréés pour le stockage des données de santé validés par l’Etat français.
Que représente le contrat signé en 2016 avec l’ Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour Doctolib ?
C’est un tout petit contrat (environ 1 M€ — ndlr) qui représente une part minime de notre chiffre d’affaires. En revanche, cela nous a permis de nous lancer dans le monde hospitalier. On travaille désormais avec la majorité des grands groupes hospitaliers publics et privés français.
Avez-vous constaté des réticences du corps médical ou des professionnels de santé face aux nouveaux services de Doctolib ?
Notre principale difficulté est de recruter des gens en France et en Allemagne et d’aller à la rencontre des praticiens pour permettre la conduite du changement. La moitié de nos équipes sont concernées par l’accompagnement des médecins dans le changement et le suivi des services. Nous n’avons pas d’autres freins.
Pourquoi les praticiens font-ils appel à vous ?
Notre solution leur coûte une centaine d’euros par mois et leur rapporte dix à quinze fois ce montant. Elle désengorge leur secrétariat, réduit les rendez-vous non honorés, développe leur patientèle, améliore le service pour leurs patients…
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