Ces cadres qui laissent tout tomber pour se réinventer9 min read
Si vous avez plus de trente ans, nul doute que vous aurez déjà entendu au moins une fois l’un de vos amis ou une simple relation vous dire que sa vie professionnelle ne le satisfait plus, et qu’il ne s’imagine pas continuer ainsi encore bien longtemps, et en tous les cas, pas pour des années. Et ce, même si cette personne bénéficie d’un statut cadre et d’un salaire tout à fait convenable.
Les mentalités changent
En dépit du temps qui passe, le statut de cadre garde de son aura, y compris chez les plus jeunes. Pourtant, les choses ont changé en profondeur ces dernières années. La population active dans son ensemble sait parfaitement que rester dans une seule société pendant toute une vie devient de plus en plus rare. La pression est donc bel et bien présente, et les exigences des salariés, en particulier des cadres, a changé.
De façon concomitante, la création d’entreprise a quant à elle changé également de statut, elle est devenue beaucoup plus envisageable pour tous. Y compris les cadres qui sont pour une grande partie en réflexion sur un changement d’orientation, voire de vie. Réflexion et action ne sont pas similaires, mais une minorité croissante de cadres change d’orientation tout en restant salarié ou se lance dans l’aventure de la reprise ou de la création d’entreprise.
Des motivations diverses
Ce n’est donc pas la question financière qui est avancée en priorité, bien au contraire. Pourtant, il ne faut pas nier que cet aspect de la situation est important dans la prise de décision finale. Néanmoins, ces cadres sont prêts à investir un pécule épargné pendant plusieurs années, à déménager, à faire un véritable pari d’ordre professionnel, mais aussi privé.
Cela entraîne parfois un peu d’incompréhension autour d’eux, leur vie étant jugée comme excellente, et après tout, être cadre dans une entreprise est toujours considéré comme plutôt enviable en France, même si cela recouvre des situations bien différentes.
Projet professionnel ou fantasme de liberté ?
Le problème est bien connu : il est tellement facile de se dire que l’herbe est plus verte ailleurs. Et le fait d’être cadre, s’il garantit d’avoir un emploi du temps chargé, ne signifie nullement que les tâches à accomplir soient forcé- ment passionnantes. D’autres éléments peuvent entrer en compte : une ambiance dégradée avec les collègues ou la hiérarchie, et voici que l’esprit commence à vagabonder pour s’imaginer ailleurs.
Certaines circonstances de la sphère privée sont également susceptibles d’avoir une influence sur une envie de change- ment, comme la naissance des enfants. Certains désirent retrouver une vocation oubliée, un mode de vie rêvée à l’époque de leur jeunesse, alors que d’autres, et il s’agit d’une majorité, rêvent d’une vie plus libre où les comptes à rendre ne sont que vis-à-vis de soi-même, en allant dans la direction de la création ou du rachat d’une entreprise. C’est à ce moment qu’il convient raison garder, et que parfois le bât blesse.
Car si le fait de ne plus avoir de hiérarchie peut sembler plus que positif, il ne faut pas que ce formidable argument vienne occulter les multiples devoirs et inconvénients inhérents à un changement d’orientation ou à une nouvelle responsabilité de chef d’entreprise.
Quid de la reconversion
Lorsqu’un cadre évoque le besoin de changer de vie, il s’agit plutôt d’une réorientation globale, car la profession est souvent liée au cadre de vie. Ainsi, l’image du cadre parisien qui vient s’installer en province n’est pas qu’une caricature, car changer d’orientation implique un changement plus global.
L’option envisagée par certains est de changer de cadre de vie, en cherchant un emploi du même type dans une autre région. Un directeur financier peut trouver un poste en province. Cela peut donc se faire par étape, le changement de lieu de vie étant souvent considéré comme largement suff isant pour entamer un nouveau départ, plus qualitatif.
D’autres motivations expliquent également les reconversions de cadres. Il arrive ainsi que ce soit le désir, parfois non formulé, de retourner à ses racines, dans une région familière et liée à la famille. Une reconversion peut également se construire au fil des années, ce qui permet également de minimiser les risques financiers.
Les exemples foisonnent
Magali F., ingénieur commercial dans une grande société parisienne et responsable grands comptes, habitait il y a une dizaine d’années à Antony en région parisienne dans un appartement avec mari et bébé. Une vie peu à peu devenue pesante, et considérée comme peu avenante avec le projet d’un second enfant. Son évolution de carrière s’est faite en deux étapes qui ont pris chacune environ cinq ans.
La première fut un déménagement vers la région lilloise dans une maison avec jardin, dans un poste identique au sein d’une grande société agroalimentaire. Son mari, cadre également, a trouvé quant à lui un poste équivalent à 50 kilomètres de la capitale nordiste. En 2018, cinq ans plus tard, la réflexion mûrit et c’est une nouvelle décision qui est prise : celle d’une véritable reconversion. Magali entame un congé de formation de deux ans dans le but d’établir son cabinet de sophrologie d’ici f in 2019.
Un nouveau pari pour le futur, mais un projet partagé en couple. Se reconvertir lorsque l’on est cadre et parent ne signifie pas forcément se retrouver au fin fond du Larzac à fabriquer des fromages de chèvre…
Le terrible constat des jobs sans intérêt
Les jobs « nuls », pour être poli, désignent ces métiers superficiels, sans aucun sens réel pour ceux qui les exécutent et qui existent pourtant bel et bien. C’est David Graeber qui est à l’origine de ce terme utilisé dans une théorie de 2013. Cet anthropologue semble être indirectement dans la droite ligne de Keynes, du moins sur le thème du travail. En effet, ce cher John Maynard Keynes était convaincu que la robotisation et le progrès technologique ne manqueraient pas de libérer en grande partie l’homme du travail tel qu’il existait.
Or, les hommes travaillent toujours beau- coup, et sont encore loin des 15 heures hebdomadaires imaginées par Keynes. Graeber avance la théorie selon laquelle des emplois sont pérennisés alors qu’ils sont en réalité inutiles. Cela concerne en grande partie les emplois non qualifiés, mais les cadres sont également concernés.
Comment savoir que l’on se consacre à un job néfaste ? En imaginant quel pourrait être l’impact sur son environnement et l’entreprise de la disparition de son activité. C’est une question qui n’est pas sans danger, car dans ce cas, un juriste financier peut devenir beaucoup moins utile qu’un éboueur. L’homme va très loin dans sa théorie en exposant que plus le travail est utile, moins il est payé et reconnu, à quelques exceptions près.
Une évolution sociétale
Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que, d’après une étude Ifop-Cadremploi, relayée par Courrier Cadres, 73% des cadres déclarent être sous la pression d’objectifs difficiles à atteindre. Parmi ceux-ci, une frange a du mal à maîtriser la situation, le sport ou la déconnexion du week-end ne suffisant plus à la détente, 6% allant jusqu’à consulter un spécialiste.
C’est alors que la mobilité, voire la reconversion professionnelle, deviennent des options envisageables. Mais, le sentiment de se retrouver dans une impasse n’est pas la seule motivation, loin de là. Aujourd’hui, la situation de cadre n’est plus considérée comme la plus enviable, socialement parlant. La question du statut a changé, être artisan ou directeur des relations humaines est tout aussi respectable. Incroyable, dans un pays où le diplôme est, ou était, adulé.
Une vie plus agréable ?
La quête de sens est aussi la quête de bonheur, ou du moins d’un meilleur équilibre entre travail et vie personnelle. Non pas que changer de vie signifie avoir plus de temps libre, bien au contraire, les témoignages sont là pour le prouver. Se retrouver artisan après une vie de cadre parisien ne signifie certainement pas … travailler moins.
Si le stress est présent, il est différent. La personne se trouve en charge, responsable de ses décisions, fixant elle-même ses objectifs. Plus d’intervention extérieure, plus de sensation de perdre la gestion de sa vie professionnelle, de ne pas être écouté, ou tout simplement parfois de se trouver dans une entreprise où les relations ne sont pas, ou plus, satisfaisantes. La liberté est donc bel et bien au rendez-vous, avec un nouveau poids sur les épaules, celui de l’indépendance.
L’un des besoins souvent évoqué est celui de revenir à des tâches plus concrètes et moins virtuelles, et de ce fait plus rassurantes.
Changer de vie quand on est cadre peut donc revêtir bien des apparences différentes : fonction identique ailleurs, activité hobby qui tend à devenir principale, création ou reprise d’entreprise, réorientation vers une nouvelle fonction…
Les options sont nombreuses, et les risques également. Car la société change, mais plus lentement que l’on ne l’imagine. La qualité suprême dans l’optique d’un changement de ce type, est finalement la persévérance, parfois même l’obstination.