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Faut-il vraiment avoir peur de l’intelligence artificielle ?9 min read

26 juin 2018 6 min read

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Faut-il vraiment avoir peur de l’intelligence artificielle ?9 min read

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Entre les Cassandre et ceux qui en ont fait une nouvelle religion, l’intelligence artificielle est une inépuisable source de fantasmes. Est-elle un danger ou une opportunité ? Ou les deux ? Dans cette course à l’armement technologique, la France, avec ses chercheurs de renommée mondiale, a toutes les cartes en main pour devenir l’un des leaders dans le domaine d’ici 2030.

Détecter les cancers, faire rouler des voitures de façon autonome, personnaliser les cursus scolaires, gérer la comptabilité d’une entreprise… Il ne se passe pas une journée sans qu’un des futurs progrès produits par l’intelligence artificielle ne fasse la Une des journaux. Certains experts parlent déjà de l’avènement d’une quatrième révolution industrielle.

Pour le président russe Vladimir Poutine « l’IA est une arme pour dominer le monde ». Pour le fondateur de Tesla et SpaceX Elon Musk, c’est « le plus grand risque auquel notre civilisation sera confrontée ». L’IA suscite engouement et fantasmes en tous genres. Mais au fond, que peut réellement cette avancée technologique ? Quel sera son impact sur les organisations ? Peut-elle menacer les business model des entreprises ?

Marketing, maintenance, vente…

Sur le terrain, l’impact de l’intelligence artificielle est déjà une réalité. Dans beaucoup d’entreprises, ses applications concrètes se répandent comme une traînée de poudre. Tous les secteurs sont déjà (ou seront) transformés : marketing, maintenance, vente, RH, relation client, recrutement, logistique…

Les administrations se sont également mis à l’IA. Il se murmure que Bercy l’utiliserait déjà pour détecter les fraudes. L’un des gros avantages de l’IA, c’est son caractère horizontal : elle s’applique à toutes les industries, à tous les secteurs, sans discernement, et comme l’explique le chirurgien, auteur et spécialiste de l’IA Laurent Alexandre, « elle ne suit pas la hiérarchie des tâches cognitives humaines : la cancérologie lui est plus facile que la préparation d’un café ».

L’intelligence artificielle actuelle doit quasiment tout à un… Français 

Au-delà des mythes sur sa prétendue dimension démiurgique, l’intelligence artificielle reste une notion difficile à définir. De quoi parle-t-on ? Qu’est-ce que l’IA ? « L’IA consiste à déléguer à des machines une partie des capacités humaines en termes d’intelligence, de décision et d’action », précise Mouloud Dey, directeur de l’innovation chez SAS France, dans Les Echos.

« L’IA est une augmentation des capacités intellectuelles humaines », précise le chercheur français Yann Le Cun, le « Monsieur IA » de Facebook, directeur de la division intelligence artificielle du réseau social.

D’autres font un pas de côté et convoque la sémantique pour qualifier cet objet technologique encore mal identifié. Maurice Diaye, fondateur de Synomia – une start-up qui propose de l’analyse sémantique à des grands comptes comme Orange ou Total –, parle plus volontiers d’intelligence étendue. « Il a remarqué que le mot IA faisait peur, explique Eytan Messika, VC analyst spécialisé en IA au sein du fonds Oneragtime. Pour vendre plus facilement, il a donc inventé un autre terme. »

Réseaux de neurones, deep learning, algorithme de régression linéaire : toute l’infrastructure de l’IA est issue de méthodes statistiques elles-mêmes calquées sur le fonctionnement du cerveau humain. Une chose est certaine : le décollage de l’IA doit tout au deep learning (apprentissage profond, en français), dont l’un des pères fondateurs n’est autre que… Yann Le Cun. Cette méthode a pris son essor au début des années 2010 grâce aux nouveaux microprocesseurs et aux bases de données géantes. Se basant sur un réseau de neurones artificielles, le deep learning consiste à soumettre aux machines des quantités massives de données pour qu’elles apprennent.

Dit autrement : à force de voir des images de voiture associées au mot « voiture », la machine finira par reconnaître aisément une voiture. « On va apprendre à la machine comme à un enfant », résume Rand Hindi, fondateur de la pépite Snips (reconnaissance vocale). « L’IA reste encore très modeste : nous ne sommes pas encore sur des applications de rupture, précise Julien Maldonato, associé conseil innovation chez Deloitte, mais sur de l’informatique qui s’améliore. »

« Dans 5-6 ans, les GAFA auront toutes les clés en main en matière d’IA »

La santé sera l’un des secteurs les plus impactés. En radiologie, par exemple, ces systèmes apprenants sont déjà « plus fiables que la grande majorité des gens », souligne Yann Le Cun. « Pas meilleurs qu’un expert très pointu au mieux de sa forme, mais probablement mieux que cet expert après une journée de travail de 8h. (…) Dans le domaine de la dermatologie, de la radiographie, des IRM, on assiste à d’énormes progrès et c’est en phase de déploiement. »

L’effervescence soudaine autour de l’IA est-elle proportionnelle à la réalité des progrès technologiques ? Oui, si l’on s’en tient aux GAFA, qui disposent d’une avance technologique considérable. « Dans les 5-6 années à venir, ce sont eux qui auront toutes les clés dans tous les secteurs, assure Eytan Messika. Google dans la santé, Facebook dans les médias, Amazon dans les transports… » Et ce sont les millions de données personnelles produites chaque minute par les utilisateurs qui abreuvent les machines des mastodontes de la Silicon Valley

Quand les entreprises utilisent l’intelligence artificielle comme outil marketing…

L’explosion médiatique de l’IA a poussé bon nombre d’entreprises à enjoliver la réalité. « Dès qu’il y a une optimisation, les entreprises disent qu’elles font de l’IA, glisse Eytan Messika. Un algorithme n’est pas forcément de l’intelligence artificielle, le machine learning n’est pas forcément de l’IA : c’est un moyen de créer de l’IA et d’aider une machine à apprendre. » L’IA, un concept vendeur ? « Auprès des fonds d’investissement, c’est certain.

Mais c’est moins vrai auprès des grands comptes. En tous les cas, ceux qui ne font pas d’IA sont largués. » Tout le monde surfe sur la vague : pour les start-up et les fonds d’investissement qui font de l’investissement dans les entreprises du secteur, l’IA est devenu un puissant outil marketing. Bienvenue dans l’ère de l’« IA washing »

De la théorie au produit : le problème français

« Google est à des années-lumières de la France et de l’Europe, analyse Eytan Messika. Eux, ils ont une vision et une compréhension de ce qu’est réellement l’IA. En France, on est très performant en maths, en statistiques… Mais la capacité à créer des produits reposant sur l’IA reste l’apanage des Etats-Unis. Nous avons du mal à sortir du complexe des écoles, des centres de recherche, pour rendre l’IA accessible au grand public. »

La différence entre la France et les Etats-Unis tiendrait donc à l’industrialisation des produits. « Les Américains sont orientés produit. Dès qu’ils ont un problème, ils cherchent le produit qui y répond. En France, on a une idée et on regarde si on peut en faire un produit. L’industrialisation n’est qu’une question de processus, pas de réflexion »

Les chercheurs français, matière première des GAFA

Mais cette difficulté à s’adapter aux marchés ne doit pas cacher le fait que la recherche académique française, développée dans des établissements d’excellence comme l’Inria, le CNRS ou le CEA est un des moteurs de l’IA. Ce n’est pas un hasard si les plus grands groupes internationaux – Facebook, Google, Spotify, Rakuten, Sony, Huawei – ont installé leur centre de recherche à Paris.

Le plus médiatique de ces figures de l’IA n’est autre que  Yann Le Cun – qui vient d’être rejoint chez Facebook par Jérôme Pressenti, ancien patron du programme Watson d’IBM. Autre éminence grise tricolore ayant franchi le pas : le chercheur François Pachet, recruté par Spotify en 2017 pour prendre la tête de son laboratoire parisien. Google compte également son lot d’ingénieurs français. « Les Américains nous utilisent comme matière première (sic), précise Eytan Messika.

La vraie intelligence derrière l’IA, ce sont les algorithmes créés par les chercheurs. Facebook a très bien compris ça. » Malgré ces difficultés, la France compterait environ 280 start-up françaises mobilisant l’intelligence artificielle, selon l’association « France is AI »…

Quel rôle pour le capital-risque ?

Un secteur aussi dynamique que l’IA attire forcément les convoitises. Selon CB Insights, le marché des fusions-acquisitions de start-up dans ce domaine est en train d’exploser. Parmi les plus gros acheteurs, on retrouve Apple, Facebook et Intel. En 2016, Google a racheté la start-up française Moodstocks, spécialisée dans la reconnaissance d’image.

En 2017, Apple a fait main basse sur la start-up parisienne Regaind, spécialiste de l’analyse d’images via le cloud. Concernant les fonds de capital-risque, 271 start-up faisant appel à l’IA ont levé des fonds en Europe en 2016, c’est trois fois plus qu’en 2015.

Pour un fonds, l’IA est d’abord un moyen d’atteindre la scalabilité de manière efficiente. « Investir dans des vrais projets d’intelligence artificielle est une mine d’or pour les fonds, détaille Eytan Messika. Cela correspond à leur objectif prioritaire : il souhaite qu’en 7 ans la start-up fasse une exit (revente, NDLR). 

Ils disent qu’ils ont envie d’aider les entrepreneurs à changer le monde, mais c’est du branding. Au quotidien, ce qu’on voit, c’est qu’ils investissent dans des projets qui ont du sens, vont générer du chiffre d’affaires, croître et, in fine, se faire racheter. » Dans un tel contexte, les pépites françaises risquent de rester des proies de choix pour des géants américains.

Pour éviter un exode massif, la France va devoir trouver un modus vivendi, une architecture, permettant aux organismes publics, aux fonds d’investissement, aux centres technologiques, aux grands groupes et aux start-up « d’organiser un transfert d’innovation », afin d’exploiter et de pérenniser le savoir-faire tricolore. C’est sans doute à ce prix que la France sera en capacité de lutter contre une forme d’américanisation de l’intelligence artificielle. Et devenir, à terme, une des places fortes de l’IA à travers le monde.

 

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